Avertissement

Un peintre qui s'adonne à la critique d'art c'est un peu comme un végétarien qui dévore à belles dents un cadavre exquis ou un prophète qui prend la Tabula rasa pour un jeu à gratter.


Descendre dans l'arène de la critique, c'est se retrouver tel un toréador entre la "peinture peinturée", une rossinante de retour, trois crins au bout du pinceau et la "peinture peinturante", reine du dripping et de son hasard programmé et shooté aux vapeurs d'aérosol.

L'une et l'autre ont leur intérêt, et s'il est difficile par ailleurs d'oublier totalement ses propres recherches créatives, le large spectre de celles-ci me permet d'aborder sereinement et librement les créations picturales des autres artistes.
 
Reste une exigence incontournable, avoir un coup de coeur suffisamment conséquent par la proposition d'un artiste pour écrire à son propos.




Nathalie AURY  - artiste peintre

« C’est là, toute la magie de l’art, l’alchimie peut être insouciante et son résultat fulgurant »

Quelque part entre la peinture de Yahne Le Toumelin, celle de Joan Mitchell  et 
les « Paintings on paper » d’Helen Frankenthaler, Nathalie AURY pratique un art d’imprégnation qui s’inscrit dans la mouvance de l’expressionnisme abstrait. Une intensité maitrisée et des couleurs recherchées vibrent au rythme d'une gestuelle lyrique et graphique pleine de sens.
Son art subtil, à la fois turnérien et brut, organique et métaphysique, réussit le tour de force de proposer des configurations 
à la fois personnelles et d'une universalité partagée.
    
Comme la définition préalable ne doit pas l'emporter sur l'observation, voici ci-dessous trois de ses
œuvres sur papier commentées  :


Le seuil du jardin


Le seuil du jardin
ou quand l’art est « abstrait mais avec des souvenirs » (comme le revendiquait Paul KLEE).


Au premier plan, une broderie noueuse, forgée et ciselée aux coulures transparentes d’un dripping bleu curaçao. Le spectateur se trouve ainsi isolé derrière un dispositif qui agit à la manière d’un moucharabieh. Il perçoit alors un second plan constitué d’un grand aplat lumineux comme un instant d’éternité, ombragé sur le bas et délimité en haut par une lointaine futaie. C'est un monde ou le soleil à son zenith inonde notre cœur d'enfant dans un parc imaginaire.
Sûrement une réminiscence des temps heureux, d’un Eden introuvable.

Dans un roman d’André Hardellet, le Seuil du jardin, Swaine, dit au peintre Masson : « Ce que proposent vos tableaux, ce qu’ils vous rappellent et me rappellent également comme s’ils venaient d’un… d’un fond, d’un passé commun encore accessible à certaines consciences. ».

 
Ce roman s’ouvre sur cette citation de Marcel Proust :
« Cette incompréhensible contradiction du souvenir et du néant »



L'Oracle



L'oracle blanc
est un beau songe qui remise le cogito 
au porte manteau des âmes.

C’est une œuvre atemporelle, sans chlorophylle, toute de porosité blanche et de rouille couturée. Une imposante arche monolithique, sorte de congère cyclopéenne habite l’œuvre d’une présence organique. Elle se dresse, énigmatique, drapée d’hiératisme comme le vestige d’une proto-religion. L’artiste, qui est bien le seul à pouvoir monter le volume du son du silence, a entendu au loin, dans la brume dense de son imaginaire, le chant infini du néant. Il donne alors un visage fabuleux à cette partition métaphysique  Attention, l’image n’est pas preuve ! L’artiste est un funambule qui avance sur la ligne de crête qui sépare l’en-dedans et l’au-dehors. Il transcende son vertige pour nous restituer des images dont il ne garantit pas la provenance. C’est là toute la magie de l’art, l’alchimie peut être insouciante et son résultat fulgurant.

Cette œuvre d’art, de par sa force singulière, son étrangeté et son traitement chromatique est dans la filiation artistique d’une œuvre culte de la fin du 19ème siècle : « L’ile des morts » d’Arnold Böcklin.



Le trait


Le Trait est la base première de l'art, de la préhistoire à nos époques transitoires.

 
Tracer et délimiter c’est avant tout dire quelque chose en donnant une apparence à un agrégat d’atomes. C’est dans la définition  et la distribution de l’espace que nous pouvons nous situer. Le trait est au distinct ce que l’homme est au divin, une interrogation sans fin sur la forme et le fond. C'est ce même trait qui segmente et sépare chez Mondrian, qui va s'angoisser chez Bernard Buffet et être le dispositif essentiel du graffiti. Il sait également, pour nommer les choses dans l'espace, se livrer à d'audacieuses acrobaties pour devenir arabesque chez le calligraphe.

Ici, le trait est traversant, linéaire dans son intention première, il s'abandonne à la dilution puis à l'empâtement d'un Lapis Lazuli coagulé pour découper avec plus d'à-propos un fond brossé de blanc ocreux en une tectonique vibratoire qui renvoie aux facettes intimes de l'artiste dans sa relation au monde.  Mais en aucun cas, ce trait qui divise la surface de ce papier égratigné pour définir les masses nécessaires à la narration d'une architecture absolue, ne désagrège l'œuvre dont l'unité est préservée.


Le trait est plus qu’il ne paraît, il est, tout simplement.


http://nathalie-aury.over-blog.com/




CAROLINE LEITE   -  Artiste plasticienne



J'aime tout particulièrement cet art de la gravure indirecte qui de l'aquatinte à l'eau forte a cette magie particulière de la variation subtile.

J'ai ainsi fait notamment l'acquisition de deux œuvres de ce type. Bien qu'appartenant à une série ayant pour thème la même façade d'une maison, elles ne paraissent pas être des sœurs de création tant
elles sont différentes. Si sur l'une on distingue bien effectivement la silhouette spectrale d'une maison
sur l'autre ne subsiste plus dans un registre quasi monochromatique qu'un bruissement  pulsatoire.
Cet effacement  provoqué n'est pas qu' esthétique, il est également philosophique.

En épongeant délibérément  l'hémoglobine de la première pour  nous en  livrer une version exsangue, l'artiste Caroline Leite ôte le voile des apparences. Elle tire ainsi d'un coup sec
l'étoffe qui couvre le catafalque où gisent nos illusions perdues.

Il y a une forte parenté dans sa démarche artistique avec celle de la sculptrice Rachel Whiteread.
Elles ont toutes deux cette volonté de redonner de la dignité au quotidien, une histoire à l'anodin
et cela  le plus souvent, avec des techniques et  médiums  plus proche
du monde industriel que du marchand de couleurs.


Caroline Leite

Caroline Leite

L'art de Caroline Leite est un art dont l'ADN à double hélice se déplace sur des flots de béton lisse ou râpeux sous le ciel plombé de la métaphysique. Elle navigue notamment  le long de ce qu'elle appelle
"les bords de route". Elle y promène son appareil photographique pour saisir l'absence,
le temps qui passe et les fantômes qui chantent le silence.
Elle les longe comme un capitaine au long cours à la recherche d'un amer
et quand elle déclenche c'est avec tout les égards d'un archéologue  qui époussette
un bottin d'avant toutes les guerres.

 La maison qui l'a l'inspirée est au bord d'une nationale. Ces nationales qui partent de Paris
ressemblent à ces longs rubans enduits de glue et suspendus au plafond qui servent
à attraper les mouches.
Attirées par un développement économique vorace les maisons s'y agglutinaient, disparates, humbles
ou ostentatoires. Maintenant, elles sont délaissées, délabrées, dévalorisées car prises au piège monstrueux d'une incessante et bruyante circulation automobile.

Avec  la première version, on peut imaginer  un portail fatigué, une allée de mâchefer menant
à une porte d'entrée dont la vitre crasseuse est protégée par une ferronnerie  aux torsades maussades.
Et derrière celle-ci un esprit encore pétrifié par le tic tac maudit de l'horloge
et ahuri par l'autre côté des choses.
Puis notre regard se perd dans la deuxième version dans un océan vibratoire, celui du son originel,
le Om de la substance primordiale, celui du vide plein.

On dit de l'art qu'il donne un sens à nos vie, qu'il est une fenêtre sur l'éternité mais n'ouvre-t-il tout  simplement sur un océan qui ballotte nos interrogations au gré des courants contraires ?



www.caroline-leite.com