FrancisPierre
mémoire de la nature
artiste singulier et visionnaireentrée


Le seuil du jardin ou quand l’art est « abstrait mais avec des souvenirs » (comme le revendiquait Paul KLEE). Au premier plan, une broderie noueuse, forgée et ciselée aux coulures transparentes d’un dripping bleu curaçao. Le spectateur se trouve ainsi isolé derrière un dispositif qui agit à la manière d’un moucharabieh. Il perçoit alors un second plan constitué d’un grand aplat lumineux comme un instant d’éternité, ombragé sur le bas et délimité en haut par une lointaine futaie. C'est un monde ou le soleil à son zenith inonde notre cœur d'enfant dans un parc imaginaire.
Sûrement une réminiscence des temps heureux, d’un Eden introuvable.

Dans un roman d’André Hardellet, le Seuil du jardin, Swaine, dit au peintre Masson : « Ce que proposent vos tableaux, ce qu’ils vous rappellent et me rappellent également comme s’ils venaient d’un… d’un fond, d’un passé commun encore accessible à certaines consciences. ».

 

Ce roman s’ouvre sur cette citation de Marcel Proust
« Cette incompréhensible contradiction du souvenir et du néant »

L'oracle blanc est un beau songe qui remise le cogito 
au porte manteau des âmes.

C’est une œuvre atemporelle, sans chlorophylle, toute de porosité blanche et de rouille couturée. Une imposante arche monolithique, sorte de congère cyclopéenne habite l’œuvre d’une présence organique. Elle se dresse, énigmatique, drapée d’hiératisme comme le vestige d’une proto-religion. L’artiste, qui est bien le seul à pouvoir monter le volume du son du silence, a entendu au loin, dans la brume dense de son imaginaire, le chant infini du néant. Il donne alors un visage fabuleux à cette partition métaphysique  Attention, l’image n’est pas preuve ! L’artiste est un funambule qui avance sur la ligne de crête qui sépare l’en-dedans et l’au-dehors. Il transcende son vertige pour nous restituer des images dont il ne garantit pas la provenance. C’est là toute la magie de l’art, l’alchimie peut être insouciante et son résultat fulgurant.

Cette œuvre d’art, de par sa force singulière, son étrangeté et son traitement chromatique est dans la filiation artistique d’une œuvre culte de la fin du 19ème siècle : « L’ile des morts » d’Arnold Böcklin.

rait est la base première de l'art, de la préhistoire à nos époques transitoires.

 
Tracer et délimiter c’est avant tout dire quelque chose en donnant une apparence à un agrégat d’atomes. C’est dans la définition  et la distribution de l’espace que nous pouvons nous situer. Le trait est au distinct ce que l’homme est au divin, une interrogation sans fin sur la forme et le fond. C'est ce même trait qui segmente et sépare chez Mondrian, qui va s'angoisser chez Bernard Buffet et être le dispositif essentiel du graffiti. Il sait également, pour nommer les choses dans l'espace, se livrer à d'audacieuses acrobaties pour devenir arabesque chez le calligraphe.

Ici, le trait est traversant, linéaire dans son intention première, il s'abandonne à la dilution puis à l'empâtement d'un Lapis Lazuli coagulé pour découper avec plus d'à-propos un fond brossé de blanc ocreux en une tectonique vibratoire qui renvoie aux facettes intimes de l'artiste dans sa relation au monde.  Mais en aucun cas, ce trait qui divise la surface de ce papier égratigné pour définir les masses nécessaires à la narration d'une architecture absolue, ne désagrège l'œuvre dont l'unité est préservée.

 

Le trait est plus qu’il ne paraît, il est, tout simplement.

J'aime tout particulièrement cet art de la gravure indirecte qui de l'aquatinte à l'eau forte a cette magie particulière de la variation subtile.

J'ai ainsi fait notamment l'acquisition de deux œuvres de ce type. Bien qu'appartenant à une série ayant pour thème la même façade d'une maison, elles ne paraissent pas être des sœurs de création tant
elles sont différentes. Si sur l'une on distingue bien effectivement la silhouette spectrale d'une maison
sur l'autre ne subsiste plus dans un registre quasi monochromatique qu'un bruissement  pulsatoire.
Cet effacement  provoqué n'est pas qu' esthétique, il est également philosophique.

En épongeant délibérément  l'hémoglobine de la première pour  nous en  livrer une version exsangue, l'artiste Caroline Leite ôte le voile des apparences. Elle tire ainsi d'un coup sec
l'étoffe qui couvre le catafalque où gisent nos illusions perdues.

Il y a une forte parenté dans sa démarche artistique avec celle de la sculptrice Rachel Whiteread.
Elles ont toutes deux cette volonté de redonner de la dignité au quotidien, une histoire à l'anodin
et cela  le plus souvent, avec des techniques et  médiums  plus proche
du monde industriel que du marchand de couleurs.

 

Singulier ? Vous avez bien dit singulier ? Oui, je choisis ce terme car j'ai d'abord avant tout un goût prononcé pour les chemins de traverse, ceux-là même qui tournent le dos à la structure analytique du mental pour laisser libre cours à la créativité intuitive.
Je ne recherche pas à tout prix à être original mais l'artiste qui s'éloigne des stéréotypes le sera forcément. Roger Caillois ("L'homme qui aimait les pierres" comme l'appelait Marguerite Yourcenar) revendiquait le droit de "penser en oblique". Je revendique pour ma part le droit de "peindre en oblique", d'inscrire ma peinture dans la tradition alchimique, le chamanisme et la médiumnité.

On parle comme on respire, le plus ordinairement pour ne rien dire, sûrement pour se rassurer d'être encore en vie. Pour ma part je me dis souvent que je n'ai rien à dire, mais vraiment rien à dire que vous ne sachiez déjà inconsciemment, mais paradoxalement  tant à partager ! Mais pour cela il faut accepter de faire quelques accrocs à son plumage d'homme sage, quitte à être un escroc avec soi-même. L'homme est tissé par le temps et si sa vie ne tient qu'à un fil, c'est ce même fil qui sert à l'artiste pour tisser son œuvre.

Si "l'art doit révéler et rendre visible l'invisible" (P. Klee) en ne se limitant pas à reproduire fidèlement les formes visibles de la nature, il ne doit pas ignorer au nom du joli à tout prix, le meurtre programmé de celle-ci. L'impact terrible du développement de l'humanité sur l'environnement planétaire est tel que même l'obsession de peindre le mystère s'en trouve affectée. La naissance de l'industrialisation de nos sociétés a certes donné de grands tableaux enfumés (notamment chez William Turner et Claude Monet) mais ceux-ci ne se doutait pas alors que le dioxyde de carbone était un poison lent et que sa diffusion correspondait  avec le début de l'ère de l'anthropocène.

La mode des peintres d'histoire est certes passée mais le retour à une certaine prise de conscience écologique et politique doit absolument faire partie des préoccupations de l'artiste d'aujourd'hui même si par définition celui-ci doit être dégagé de ces basses préoccupations pour ne se préoccuper que du sublime firmament qui l'attend dans ses rêves ultimes.
Il ne s'agit pas d'être mainstream ou de ne pas être mais d'être avant tout une pulsation artistique à l'unisson.

Mais en tout cas il faut comprendre que lorsqu’il s’agit de rendre au monde ce que l’on perçoit, la valeur de ce que l’on restitue résulte de l’étendue et de la qualité de son langage et  par là même de son vocabulaire : je peux le dire, non exactement comme je le pense ou le ressens au fond de moi, mais comme je le peux avec mes limites d’expression.

L'art a pour finalité première de proposer au spectateur des œuvres dont  le magnétisme rémanent devra être suffisant pour déclencher chez lui plus qu'une simple persistance rétinienne mais un véritable processus d’appropriation.

De par l’action de cette force magnétique et intrusive, l’expérience sensible du récepteur se déroule alors dans un temps qui n'est plus tout à fait le sien, car virtuellement partagé avec celui de l'émetteur. On peut dire que ce temps là équivaut " au temps qui sort de ses gonds" d'Hamlet. Ce "petit miracle" de communion spatio-temporelle, où le temps et l'esprit des uns et des autres se mêlent dans une expérience sensible est unique dans le monde de relations par  lequel nous existons. Il vient couronner le travail solitaire et exigeant du peintre et c'est donc, également ma récompense .

Le titre de cette œuvre est emprunté à un texte de René Char

pour  "Nature morte au pigeon" dans  : "En vue de Georges Braque" (Recherche de la base et du sommet)

"Occupe et redistribue l'espace à ta façon, fait vibrer les couleurs à l'unisson de ton coeur et montre nous l'invisible" .

Dialogue imaginaire entre l'artiste et un amateur d'art  :

  Une résurrection, c'est un sujet qui n'est plus guère représenté de nos jours ! Vous      croyez en une réalité transcendante pour aborder un tel sujet ?

Je crois en l'émerveillement, au tic tac incessant de nos rêves.
 La montre du grand horloger est peut-être arrêtée (Dieu est mort dit Nietzsche) mais elle donne quand même l'heure juste deux fois par jour. On peut donc toujours être dans le vrai à un moment ou un autre.

 Mais vous croyez en quoi au final ?

  Au "Je ne sais quoi de Jankélévitch"

  Vous ne savez donc rien ?

  Si je sais le bleu, le bleu du firmament. La revivification des os n'est ici qu'une           péripétie, un prétexte au bleu. Le bleu de nos songes contre le sang de la terre.

"Regarde bien / De tous tes yeux, le visage de ta mère/ Afin d'en conserver l'image "
chante Butterfly à son enfant avant de se donner la mort.
Les images s'enracinent en nous pour constituer le fonds iconographique de notre expérience.
 Elles sont l'alpha et l'oméga de l'atelier mental de l'artiste.
Nous sommes maintenant submergés par un flot continu d'images, mais seules certaines, à l'issue d'un tri sélectif dont la logique nous échappe, deviendront ces réminiscences
qui nourriront nos pensées et créations.
Ainsi, ci-contre, cette ancienne photo

du début du 19 ème siècle signée par le photographe voyageur H.G Ponting au reflet obsédant d'une Geisha sur l'eau m'a inspiré pour aborder le thème de Mme Butterfly.

Nature morte au fantôme
(acrylique sur papier 38x24)
 

 La " Nature morte au fantôme " s'apparente aux Vanités.
Mais ici, point de crucifix ou de livre saint pour se raccrocher aux branches paradisiaques.
L'œuvre est résolument profane, l'hémorragie de l'être y est sans rémission, symbolisé par l'image d'un fantôme qui, tout en reprenant le rôle symbolique du crâne traditionnel, compromet, car non solide comme l'os, une possible résurrection.
Certains des accessoires de la composition indiquent que le sujet a bel et bien été prémédité pour dire " autre chose ". Ce sont des contenus autonomes qui renvoient, comme la miniature en ivoire représentant une geisha, le billet d'entrée à un spectacle et le papillon jaune, à Mme Butterfly de Puccini.
Une  atmosphère fantasmagorique propice à la dramaturgie émane d'ailleurs du tableau. Le fond vibrionne, il est agité de bourrasques cosmiques qui dynamisent la composition.
 Il y a rupture avec le concept de vie silencieuse et immobile qui est la règle du genre

Les couleurs des deux aubergines vont du rose au rouge violacé, en passant par le blanc nuancé.
Ce sont là indubitablement des couleurs de carnation.
L'apparition du fantôme sur l'une d'entre elles à la robe pourpre profond, est sans équivoque.
 Elle renvoie à la détresse abyssale de Butterfly alors que la seconde sphère potagère, tonitruante, nous renvoie à la lâcheté et au cynisme de Pinkerton.
 La peinture croise alors l'animisme.